mardi 31 mars 2009

Les mots pour le dire *

En mettant le pied – enfin le clavier – dans l’univers « blogue » (merci, Christiane, pour l’information linguistique et la référence au Grand dictionnaire terminologique sur le web), je ne suis pas certain d’avoir choisi le meilleur créneau pour combler les quelques manques que je constate depuis des lustres au niveau de l’information générale sur la chanson traditionnelle, objet privilégié (mais peut-être pas unique, on verra à l’usage) de cette nouvelle tribune.

De façon générale, les blogues sont davantage des occasions d’expression de l’opinion individuelle que des espaces consacrés à l’exposé de savoirs théoriques spécialisés. Toutes choses étant inégales par ailleurs, ils sont à la connaissance un peu ce que les éditoriaux sont à l’information factuelle. Non pas que l’opinion soit illégitime en soi, mais elle n’est jamais que l’expression d’une appréhension plus ou moins subjective, le plus souvent partielle et pas toujours très approfondie de réalités souvent complexes qu’elle n’a pas souvent, loin s’en faut, la capacité ou la volonté d’essayer de comprendre de façon rationnelle.

Or, une opinion n’est réellement utile à l’avancement du schmilblick que lorsqu’elle est construite sur un minimum d’analyse, et elle ne peut servir à l’enrichissement d’un dossier que lorsqu’elle sait exposer les arguments sur lesquels elle se fonde, ce qui est loin d’être toujours le cas chez nos contemporains. L’absence se sens critique, donc d’arguments, est ainsi le créneau qu’exploitent systématiquement les manipulateurs d’opinion et les démagogues, qui savent très bien utiliser les carences analytiques d’une majorité suffisante de nos concitoyens pour leur (nous) vendre n’importe quoi, voire de leur (nous) faire avaler n’importe quelle couleuvre idéologique (pensons juste aux fameux « ppp »...), vertueusement drapés dans cette règle d’or qui veut que l’opinion, donc les voix..., de la majorité constitue(nt) la base de notre système dit démocratique, dont on préférerait qu’il soit plutôt construit sur la connaissance et l’analyse. Entre autres faiblesses, la démocratie, dont quelqu’un (Churchill ?) a déjà dit qu’elle était le moins mauvais des systèmes politiques, se fonde malheureusement sur l’absence de sens critique de la « majorité silencieuse » et n’est trop souvent plus qu’une dictature déguisée de l’opinion majoritaire.

J’en vois déjà sourciller et se demander : « Oùsqu’i s’en va avec ses skis, c’ti-là qui nous annonçait une tribune sur la chanson de tradition orale ? Le v’là qu’i nous parle politique... » D’une part, je crois (opinion, mais tout de même...) que tout se tient et que ce qu’on dit sur une chose ou sur l’autre relève souvent de la même – ou la même absence de – logique. « Toutte est dans toutte », chantait il fut un temps Luôar Yaugud. J’ajouterais « et inversement », comme l’a proclamé un jour dans un éclair de génie un philosophe anonyme. Parce que pour parler intelligemment de quelque sujet que ce soit, que ce soit de politique, de système socio-économique, de musique classique, d’accommodements raisonnables, du réchauffement de la planète ou de chanson traditionnelle, nous n’avons qu’une source : la connaissance ; un seul outil : la pensée ; et un seul moyen de l’exprimer : les mots.

Or, et c’est le constat de départ, réitéré des centaines de fois depuis les quelque quarante années que je m’intéresse à la question, nous n’accordons pas tous le même sens aux mots que nous employons quand nous parlons de cette chose plus complexe qu’elle ne paraît de prime abord qu’on appelle généralement – si, si, j’y arrive enfin – chanson traditionnelle. J’utilise cette expression devenue la plus courante aujourd’hui, mais à une époque pas si lontaine, j’aurais pu parler de chanson folklorique (ou encore, de « chanson de folklore ») ; et en reculant un peu plus dans le temps, j’aurais sans doute utilisé la locution « chanson populaire » dans un sens similaire. Tant de mots différents pour nommer un même objet, donc pour le définir, en délimiter les contours génériques et lui conférer une existence conceptuelle. Et a contrario, tant de sens différents conférés aux mêmes mots..., eux-mêmes évoluant dans le temps et amassant au fil de leur carrière des connotations qui n’entretiennent plus parfois qu’un lointain rapport avec leur sens originel.

Ainsi, si je demandais à chacun d’entre vous de me définir l’objet en question, je ne suis pas du tout certain que j’obtiendrais des réponses convergentes. Si tant est que chacun pourrait sans doute définir à peu près adéquatement ce qu’est une chanson – ne serait-ce que par opposition à ce qu’elle n’est pas –, la définition que chacun attribuerait au mot traditionnel risquerait de ne pas coïncider totalement avec celles des autres. Je ressens donc depuis un certain temps le besoin de clarifier tout ça, et d’écrire, après l’avoir beaucoup dit – celles et ceux qui me connaissent savent combien je suis un homme de l’oral... –, que la tradition, ce n’est pas ce que l’un ou l’autre en pense (opinion...), que ce n’est pas tout et n’importe quoi, mais que le mot possède un univers sémantique qu’il faut, malgré sa complexité, connaître un minimum avant d’utiliser ce mot-concept à tort et à travers, mot qui nomme un processus spécifique du fonctionnement de la culture, qui lui-même conditionne et qualifie les différentes productions culturelles qu’il génère et caractérise. Et ici, je parle de tradition dans son sens le plus large puisqu’il s’applique non seulement à la chanson, mais à un ensemble d’autres « genres » d’expression culturelle qui sont discriminables dans leur forme et leur contenu – tout le monde s’entendra pour trouver des éléments déterminants distinguant une chanson d’un récit en prose, d’une forme de danse ou d’un air de violon –, mais qui partagent tous, à des degrés divers, des caractéristiques qui font qu’on peut reconnaître les uns et les autres comme des produits de ce processus particulier qu’on n’a rien trouvé de mieux comme mot pour le désigner, que ce mot : tradition.

Parlant de chanson de tradition orale, je parlerai donc abondamment, dans les livraisons à venir de cette tribune, du concept de tradition, puisque lorsqu'il est employé comme épithète et accolé à la chanson, il en caractérise une partie du répertoire et la désigne comme étant quelque chose de différent de ses proche parentes, chansons d’auteurs, chansons de variété, airs d’opérettes, romances poético-littéraires, chansons populaires (holà ! en voici un autre, mot « chargé », sur lequel il faudra aussi revenir !!!) et tutti quanti. Cela sera l’occasion de faire le tour du jardin, d’examiner les différentes caractéristiques généralement associées au concept de tradition (anonymat, ancienneté, oralité, variabilité, popularité...), d’en évaluer la pertinence et les limites, et d’apporter les toutes nuances nécessaires pour appréhender la réalité qui se cache derrière les mots dans toute sa complexité. Et ce, d’autant plus que les nouveaux contextes socioculturels auxquels elles sont dorénavant confrontées nous obligent à revoir le modèle et à en vérifier la validité en permanence. Mais pour ce faire, pour apprécier les sens connexes ou les nouveaux sens des mots, nous ne pouvons pas ignorer les premiers, qui continuent toujours de s’appliquer d'une façon ou d'une autre aux objets et aux situations que l’on cherche à définir.

Je me demandais plus haut si j’avais choisi la meilleure formule, celle du « blogue », pour me livrer à cet exercice. Effectivement, je pourrais sans doute écrire un genre de traité ou de manuel, mais ma tendance personnelle à la procrastination m’a toujours détourné de ce fantasme d’intello. Par ailleurs, la formule du blogue hébergé sur la toile permet un niveau d’expression personnel qui siérait moins à une édition formelle de type universitaire mais qui convient assez bien à ma plume (enfin, à mon clavier...), me permettant ici ou là la liberté d'un sourire ou d'une pique, dans une langue qui ne sera d’ailleurs pas toujours celle de Boileau. De plus, elle me permettra de me livrer à un de mes exercices favoris, la digression : j’aime bien de temps à autres, vous avez déjà pu le constater ci-haut, emprunter quelques chemins de traverse avant d’arriver à la conclusion de mon propos. Cerise sur le sundae, la livraison périodique de l’exposé global, découpé en « chapitres », présenté sous forme de « feuilleton » de réflexions étalées dans le temps, et livré sans contrainte de périodicité prédéfinie, ce qui représente un confort non négligeable pour le rédacteur-procrastinateur que je suis..., pourrait donner de l’espace à un ensemble de rétroactions potentielles – vos éventuels commentaires – qui permettraient de le faire évoluer, de le nuancer, de l’enrichir, de le compléter. De ces échanges d’opinions argumentées – j’insiste – pourrait ainsi émerger une synthèse qui ne serait pas le produit de ma seule analyse présentée comme dogmatique et définitive, mais comme l’expression d’une réflexion évolutive, partagée, jamais terminée, comme il convient quand on s’attaque à une question aussi complexe que la tradition orale, sa nature intrinsèque et son devenir dans la mosaïque culturelle contemporaine.

À suivre

* J’emprunte bien sûr ce titre à celui du récit autobiographique de Marie Cardinal (rien à voir avec la tradition par ailleurs, mais œuvre majeure à lire et relire), paru en 1976.

1 commentaire:

  1. Il est vrai qu'à l'origine les blogues étaient surtout dédiés aux textes d'opinion. Mais de plus en plus, les sites d'hébergement de blogues (comme blogger, word press etc.) sont utilisés dans des buts variés, car ils constituent une atlternative plus conviviale que les sites web traditionnels (pas besoin de maîtriser de language informatique...) en plus d'offrir des petits extras, comme la possibilité d'abonnements vis la syndication rss ou atom.

    Bref, ce n'est qu'une plate-forme et libre à toi de l'utiliser à ton goût, en faisant fi des définitions officielles!

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